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L’EXIL

Cela fait plus d’une décennie que j’ai consacré ma vie à servir ceux qui sont contraints de fuir leur maison, leur foyer et leur pays pour chercher la sécurité dans un autre pays. Non pas que je fasse cela de manière totalement désintéressée, mais parce que se sentir utile dans la vie et le destin des autres personnes procure aussi un sentiment d’accomplissement.

Alors oui j’ai quitté moi aussi mon pays, ma famille et mon foyer, pour les aider eux à trouver la sécurité.

Nous sommes tous en exil. Pour de différentes raisons peut être, et à différents points de vue, mais on se retrouve tous, a un moment donné, dans un milieu complètement étranger à notre foyer d’origine.  

Pour nous les humanitaires, parfois, on est tellement concentré sur ceux qu’on appelle nos « bénéficiaires » ou « les personnes sous notre mandat » qu’on en oublie de regarder plus près de nous, dans nos familles, nos amis, notre pays, nos voisins.

J’ai l’ai d’ailleurs réalisé de manière plus crue récemment en discutant avec une collègue.

Je vis en Jordanie, à Amman, à quelques kilomètres de la Syrie ; pas loin de la Palestine et l’Israël et sur la route de l’Arabie Saoudite. J’ai fait mes quartiers en plein centre du Moyen Orient. Je voyage deux heures chaque jour pour aller travailler dans un camp de réfugiés. Dans le bus qui nous emmène chaque jour au travail, nous avons l’habitude de parler entre collègues, de nos pays, de nos cultures et bien sûr du travail. Alors un jour, il n’y a pas très longtemps, alors qu’on parlait des contraintes auxquelles font face les réfugiés dans leur pays d’accueil, l’une de mes collègues m’a murmuré de manière presque timide, « Tu sais, j’ai été réfugiée ici en Jordanie quand j’étais petite ».

J’écarquillai les yeux ahuris. Pas parce que c’est impossible pour un réfugié de s’intégrer autant dans un pays, non. J’en connais d’ailleurs qui l’ont fait au Cameroun (des réfugiés rwandais, centrafricains, congolais), à Djibouti (des réfugiés yéménites et Ethiopiens), au Tchad (des réfugiés camerounais et soudanais) et même en France (je ne citerai pas…). Ma surprise c’était surtout parce qu’elle savait bien le cacher. Elle le gardait comme un secret et ne s’en confiait qu’aux personnes avec lesquelles elle se sentait en confiance, parce que, je pense, elle craignait d’être regardée autrement au travail.

Sa confidence me toucha profondément et au fond de moi je culpabilisais. Je m’en voulais d’avoir voyagé avec elle chaque jour pendant des mois, et travaillé avec elle tous les jours, sans vraiment m’intéresser à qui elle était au fond. Nous sommes nombreux à vivre ainsi de manière parfois tellement égoïste.

On est trop souvent concentré à regarder ailleurs qu’on ne remarque pas toujours ce qu’on a sous nos yeux. Car à cet instant je commençai à comprendre sa timidité, son regard fuyant, son manque de confiance en elle en réunion, cette manie à s’effacer toujours devant les autres, à ne jamais oser dire ce qui la dérange…autant de signes d’alertes qui montre que quelqu’un a besoin d’attention et de soutien. Que quelqu’un porte des stigmas qui l’empêche de s’épanouir et même d’Exister. Être exilé dans son propre corps !

Nous sommes là à courir d’un coin à l’autre du pays et du monde pour secourir ceux qui souffrent et qui ont été contraints de fuir de chez eux, ignorant ceux qui appellent à l’aide en silence autour de nous, quand on sait que la santé mentale est un élément très essentiel pour l’épanouissement de tout individu.

Je lui fis mon sourire le plus chaleureux (autant que me permettait ma mâchoire en vrac) et lui répliqua :  « j’aimerai beaucoup écrire ton histoire. »

Elle :  Pourquoi ?  Me demanda-t-elle avec un geste de recul.

Moi :  Parce que pour moi tu es un exemple fort de résilience et de réussite.

Elle rougit. Je ne le lui dis pas pour lui faire plaisir mais parce que, très sincèrement, je pense que ce genre d’histoire motiverait beaucoup d’autres migrants, réfugiés, demandeurs d’asile ou expatriés, à continuer d’espérer et se battre pour leur vie.

Elle :  Je suis d’origine Palestinienne. En réalité ce sont mes parents qui sont arrivés ici comme réfugiés. J’ai été scolarisée avec l’assistance des organisations humanitaires et j’ai pu être diplômée puis j’ai trouvé du travail. Mes parents ont cessé d’être des réfugiés dès qu’ils ont obtenus la nationalité jordanienne. Ça n’a pas été facile mais pas très long non plus. Aujourd’hui je suis jordanienne mais mes origines je les connais très bien. 

Moi :  C’est toujours bien de garder en mémoire ses racines. Ça forge ton identité et l’héritage culturelle de tes enfants. Ça te dirait qu’on en parle plus en profondeur ? 

Elle : Un jour peut-être. Lâcha-t-elle en s’éloignant car on venait d’arriver au camp.

Cette conversation me rappela celle d’une autre djiboutienne qui m’avait un jour confiée elle aussi qu’elle était issue d’une famille réfugiée Ethiopienne et yéménite. Un mixage de culture arabo-africaine tant dans l’histoire et ses traditions, que dans ses traumas.

Des histoires pareilles il y en a des tonnes me direz-vous. Mais alors, qu’en faisons-nous ?

Les humanitaires ont cette tendance à accumuler des vécues sans s’en inspirer dans la vie quotidienne, trop concentrés à essayer de raccommoder le quotidien des autres. Pourtant on aurait tellement à gagner à exploiter positivement toutes ces histoires pour en sortir des actions concrètes pour notre propre vie ou notre proche entourage voire notre pays.

J’y réfléchis depuis un moment je l’avoue et c’est pourquoi j’ai fini par me décider à véritablement faire quelque chose chez moi, dans mon pays, pour donner aussi un peu de ce que je fais ailleurs.

Ce besoin ou pour mieux dire, cette réalité s’est progressivement imposée à moi. J’essaye de voir à quoi elle aboutira, qu’elle forme concrète elle prendra. Pour l’instant cet élan m’a mené jusqu’à la création d’une fondation. Pas parce que ce que je faisais avant et ce que je fais professionnellement est moins important, mais parce que je veux faire plus, de moi-même, avec mes idées, mes ressources et l’héritage affectif que nous ont laissé nos parents.

Alors, avec mes frères en renfort la Fondation BISCUM est née. je vous en direz certainement un peu plus prochainement mais j’ai bon espoir que vous qui me lisez ici me rejoindrai dans cette nouvelle aventure humanitaire. Je suis humanitaire oui mais pas qu’ailleurs, chez moi aussi.

J’ai intitulé ce bout de texte, Exil, car mon exil à moi me conduit sans cesse vers des chemins extraordinaires. Peut-être pas toujours plaisant à vivre mais toujours riches en leçons, en expériences et en témoignages.

Nous sommes tous en exil d’une manière ou d’une autre, sachons en profiter.

Fleur zeta

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    J’ai tenu six mois. Six mois sans ces va et vient sur le terrain. Quand je dis terrain je parle bien sûr des camps de réfugiés pas de terrain de football. Pendant ces mois, et bien d’autres après, j’ai été assise dans un bureau à rédiger des rapports, des notes, des projets et des communiqués…

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